L'aut'courriel n° 222, 7 mars 2007
La déclaration de Charest n’était pas un lapsus
Par Pierre Dubuc
Fausse note, confusion, lapsus que cette déclaration de Jean Charest à l’effet que «le Québec ne serait pas indivisible » dans l’hypothèse d’une victoire référendaire des souverainistes ? Il faut s’appeler Michel C. Auger pour se laisser berner par une telle manoeuvre.
Bien sûr, Jean Charest le premier ministre a par la suite contredit ce que Jean Charest du Comité du Non avait affirmé en 1995, mais le message était envoyé.
La partition, l’arme suprême des fédéralistes
Les fédéralistes savent que la menace de partition est leur arme suprême. Dans ses Mémoires, The Way it Works, Inside Ottawa (McLelland & Stewart), Eddie Goldenberg, qui a été pendant trente ans conseiller et ami de Jean Chrétien, écrit que ce dernier voulait en 1995 faire de la partition du territoire du Québec un des thèmes centraux de la campagne référendaire. Les sondages internes au camp fédéraliste révélaient que 6% des partisans du Oui se rangeraient dans le camp du Non si on utilisait l’argument que «si le Canada est divisible, le Québec l’est aussi ».
Mais, comme l’écrit Eddie Goldenberg, les libéraux du Québec étaient en total désaccord avec cette approche et «si Chrétien - comme il le voulait désespérément - avait utilisé l’argument de la partition du Québec, l’intransigeance des stratèges du camp de Daniel Johnson aurait signifié la très grande possibilité que toute la coalition et la campagne fédéralistes implosent ».
Mais les fédéralistes ont depuis balancé par-dessus bord leurs scrupules. Déjà, après la grande frousse de 1995, Jean Chrétien avait les mains libres pour appliquer le «Plan B». Il a recruté Stéphane Dion, demandé un avis à la Cour suprême, fait adopter la Loi sur la Clarté et n’a pas hésité à recourir à la menace d’amputer le territoire québécois du Nord autochtone et du West Island.
Charest, Dion et Harper : même combat !
En agitant le spectre de la partition, Jean Charest se sait en bonne compagnie. Le chef du Parti libéral Stéphane Dion en a fait sa marque de commerce. Dans tous ses discours polémiques sur l’unité canadienne réunis dans Le Pari de la franchise (McGill-Queen’s University Press), il n’omet jamais de brandir la menace de la partition du Grand Nord québécois et des municipalités à majorité anglophone du West-Island.
Le Premier ministre Stephen Harper n’est pas en reste. Au lendemain du référendum de 1995, M. Harper a déposé à la Chambre des Communes un projet de loi stipulant que le gouvernement fédéral tiendrait son propre référendum au Québec le même jour que le référendum du gouvernement québécois. Il a même formulé la question en deux volets du référendum fédéral. Elle se lit comme suit :
a) le Québec devrait-il se séparer du Canada et devenir un pays indépendant sans lien juridique spécial avec le Canada - OUI ou NON ?
b) si le Québec se sépare du Canada, ma municipalité devrait-elle continuer de faire partie du Canada - OUI ou NON ?
La nation québécoise selon Harper
Que M. Harper ait reconnu depuis la nation québécois (dans un Canada uni) n’y change rien. Au contraire, le fait qu’il ait utilisé le mot français «Québécois » dans la version anglaise de la motion présentée à la Chambre des Communes ouvre, à ses yeux, la porte à la partition du territoire québécois.
La nation québécoise ne comprend, selon lui, que les Québécois «pure laine » et le territoire où ils sont majoritaires. Déjà, en 1995, il déclarait à la Chambre des Communes que «de toute évidence, étant donné la constitution ethnique et socioculturelle de la société québécoise moderne, seuls les Québécois "pure laine" pourraient prétendre à être considérés comme un peuple. Même s’ils constituent une majorité de la population québécoise, ils ne constituent pas une majorité dans toutes les régions du Québec. Cela nous amène à un résultat curieux. Si les Québécois "pure laine" constituent un peuple, et s’ils ont le droit de se séparer, ils ne pourraient pas prétendre à l’intégrité territoriale ».
Bouchard a capitulé devant la menace de partition et Wall Street
Dans la biographie qu’il a consacré à Jean Chrétien, le journaliste Lawrence Martin raconte que des gens de l’entourage de Lucien Bouchard lui ont confié que c’est la menace de la partition du territoire québécois qui a fait reculer le chef péquiste au lendemain du référendum de 1995.
On se souviendra qu’à ce moment-là se dégageait dans les sondages une claire majorité en faveur du Oui. Les fédéralistes paniquaient à l’idée que Lucien Bouchard déclenche des élections suivies d’un nouveau référendum.
Les fédéralistes accouchèrent du fameux Plan «B» qui comprenait les menaces de partition, mais également des pressions des milieux financiers new-yorkais menaçant le gouvernement du Québec de décote.
Dans un article paru dans le journal Les Affaires du 5 novembre 2005, Lucien Bouchard a révélé comment, à la fin juin 1996, il était accouru à New York - dans un avion loué pour que la chose demeure secrète - pour rencontrer les financiers de Wall Street qui menaçaient de décoter le Québec.
«Nous nous sommes retrouvés devant quatre analystes, manifestement sceptiques. J’avais l’impression d’être devant un tribunal, raconte Bouchard. Je leur ai demandé de nous donner une chance puisque nous avions la ferme intention de remettre de l’ordre dans les finances. On s’est fait répondre que le Québec déviait depuis 40 ans et que le bilan n’était pas bon.»
Le premier ministre avait déjà annoncé avant de partir qu’il imposerait aux employés de l’État une baisse des salaires de 6 % (qui s’est transformée plus tard en un programme de retraites anticipées). «Il a même été question, devant les gens de l’agence de crédit Standard & Poor’s, que je m’engage par écrit à tenir parole. J’aurais refusé. Quand même : un premier ministre, élu démocratiquement, ne va pas jusque là ».
Bouchard poursuit ses confidences au journaliste des Affaires . «J’ai plaidé comme si c’était la cause de ma vie. Au bout de trois ou quatre heures, ils nous ont dit de repartir, qu’ils allaient réfléchir et nous téléphoner. L’appel est entré le lendemain : le Québec n’était pas décoté, mais il était sous surveillance étroite. »
On connaît la suite. Ce fut le Sommet du Déficit Zéro avec ses compressions budgétaires dont ont subi encore les conséquences, particulièrement dans le réseau de la santé et, au plan politique, le démantèlement de la coalition des Partenaires pour la Souveraineté que M. Parizeau avait mis sur pied.
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