L'aut'courriel n° 220, 5 mars 2007
L’oubliée de la campagne électorale
Par Charles Castonguay
La sauvegarde et le développement de la langue française est à la base de la question nationale québécoise et du combat du mouvement indépendantiste. Pourtant, il n’en a pas été question jusqu’ici dans la campagne électorale. Motus et bouche cousue, autant chez André Boisclair que chez Mario Dumont et Jean Charest. Pourtant, comme nous le rappelle Charles Castonguay dans ce texte publié dans le dernier numéro de l’aut’journal, la situation du français n’a jamais été aussi précaire.
Pour marquer le 40e anniversaire du rapport de la Commission Laurendeau-Dunton, Radio-Canada a fait grand battage pendant une semaine autour d’un sondage CROP sur le bilinguisme. Procédé qui en dit long sur la qualité de l’information diffusée par Radio-Canada.
La méthodologie douteuse de CROP
CROP a écarté de son échantillon tous les Canadiens qui ne parlent pas l’anglais ou le français comme langue d’usage à la maison. Il s’agit de 3 millions de personnes, soit 10 % de la population. Le site de Radio-Canada présente néanmoins les résultats comme représentatifs de l’ensemble des Canadiens. La Commission Laurendeau-Dunton avait été plus respectueuse des allophones et des Autochtones.
Le sondage est tout aussi faussé en ce qui concerne les minorités francophones. La majorité des francophones hors Québec dans l’échantillon CROP habitaient des comtés du Nouveau-Brunswick et de l’Ontario avoisinant le Québec alors que, en réalité, la plupart vivent dans un environnement où ils sont beaucoup plus minoritaires et moins bien lotis.
L’échantillon n’est donc pas représentatif non plus des minorités francophones. À tel point que, selon les résultats obtenus par CROP pour Radio-Canada, les anglophones du Québec sont plus à plaindre que les francophones hors Québec quant à la disponibilité de services fédéraux dans leur langue. Ce qui a ensuite permis à Anthony Housefather, ex-président d’Alliance Québec invité à Dimanche Magazine, de jouer longuement au martyr sur les ondes de notre radio d’État.
400 000 francophones anglicisés deviennent des anglophones bilingues
Le comble c’est que CROP a classé les francophones et les anglophones en fonction de la langue d’usage à la maison au lieu de la langue maternelle. En 2001, il y avait près de 400 000 personnes de langue maternelle française à l’extérieur du Québec qui parlaient l’anglais comme langue d’usage à la maison.
L’approche toute croche de CROP compte tous ces francophones anglicisés comme autant d’anglophones bilingues. Ce qui a pour effet de transformer l’assimilation croissante des minorités francophones en une poussée de bilinguisme parmi la majorité linguistique dans le Rest of Canada. Bonne nouvelle, que Radio-Canada répand sans broncher coast-to-coast-to-coast. Ignoble de se gargariser ainsi de bilinguisme sur le dos des francophones en voie d’assimilation.
L’anglicisation du Canada
On sait que Trudeau a enterré l’approche initiale de la Commission Laurendeau-Dunton à la crise que traversait - et que traverse encore - le Canada. Tant et si bien que depuis l’adoption en 1969 de sa Loi sur les langues officielles, l’anglicisation des francophones hors Québec n’a pas dérougi.
L’anglicisation du Canada tout court se constate non seulement en ce qui touche au poids de sa population qui parle le français comme langue première mais jusque dans les données de recensement sur la connaissance du français et de l’anglais. Ce que dissimule l’habituelle analyse euphorisante des organismes gouvernementaux canadiens.
De Keith Spicer à Graham Fraser, les commissaires aux langues officielles du Canada nous rappellent que le bilinguisme institutionnel du gouvernement canadien vise à mettre fin à la discrimination linguistique en assurant aux parlants français comme aux parlants anglais des services fédéraux de qualité égale dans leur langue.
Ce qui équivaut à protéger l’unilinguisme, qu’il s’agisse d’unilinguisme français ou anglais. Or, loin de se résorber, le déséquilibre canadien en matière d’unilinguisme s’accentue à chaque recensement.
Pour la première fois depuis 400 ans, une baisse absolue du nombre d’unilingues français
De 1971 à 2001, les unilingues français sont passés de 18 à 13 % de la population canadienne. Et la tendance s’emballe au point que le nombre d’unilingues français baisse maintenant en chiffres absolus, passant de 4,1 à 3,9 millions entre 1991 et 2001. Cela marque le renversement d’une tendance près de quatre fois séculaire, puisque le nombre d’unilingues français au Canada était sans doute en hausse depuis 1608.
Au contraire, l’unilinguisme anglais s’est maintenu parfaitement à 67 % de la population. En chiffres absolus, il a progressé de 14 millions en 1971 à 20 millions en 2001. Alors que le nombre d’unilingues français évolue désormais à la baisse, le Canada compte un million d’unilingues anglais de plus à tous les cinq ans!
Progression du bilinguisme au détriment de l’unilinguisme français
Par conséquent, la progression du bilinguisme n’a fait que compenser la chute de l’unilinguisme français. De sorte que le pourcentage de la population canadienne qui se considère capable de parler français n’a pas du tout augmenté, demeurant à 31 % en 2001 comme en 1971.
En même temps, le maintien de l’unilinguisme anglais et la montée du bilinguisme ont fait passer la connaissance de l’anglais au Canada de 80 à 85 % de la population. En matière d’unilinguisme et de bilinguisme, tout comme en celle de langue maternelle ou de langue d’usage, l’inégalité entre l’anglais et le français s’est creusée depuis la Commission Laurendeau-Dunton.
Mais présenter les choses de cette façon donnerait trop à réfléchir. Le mandat de tout organisme fédéral est de renforcer l’unité canadienne. Alors, pour fêter l’anniversaire de Laurendeau-Dunton, Radio-Canada nous commande un CROP grand cru qu’il nous sert avec une publicité à la sauce franglaise, du genre LE BILINGUISME / C’EST PAS / «BEAUTIFUL» / ÇA?
À propos, cette année est aussi le 30e anniversaire de la Charte de la langue française. Ou plutôt de ce qu’il en reste. La loi 101 était censée elle aussi protéger les parlants français contre la discrimination, notamment dans le monde du travail. Attendons voir si Québec va fêter ça et, le cas échéant, comment.
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